La télévision a cela de magique. Elle est capable
d'embellir les choses, de sublimer les vérités les plus atroces à coups
d'artifices et de contre-vérités préfabriquées. C'était le cas ce vendredi 28
Décembre, où juste après les fêtes de Noël, entre la digestion de la dinde et
les préparatifs du réveillon, à l'heure où l'on prépare la playlist que le DJ
devra enchaîner afin de permettre à la soirée de garder tout son peps, TF1
sollicitait notre corde sensible et nos quinze jours de générosité annuelle afin
de nous joindre à leur combat de l’occasion : la mucoviscidose.
Certes, l’émotion omniprésente
était souvent sincère, surtout lorsqu’elle venait des parents du (trop) jeune
Grégory Lemarchal, un peu trop souvent cadrés en plan fixes afin de ranimer en
nous des remontées de larmes enclines à nous faire décrocher le téléphone et
appeler le numéro surtaxé. Parlons-en, de ce numéro justement, affiché non-stop
dans le coin en haut à gauche de l’écran. Encore heureux qu’il n’y ait pas eu
de signalétique, car en plus du logo de l’émission, mué pour le coup en
« La voix d’un Ange » il n’aurait resté qu’un seul coin de libre et
notre écran de télé aurait semblé aussi déguisé qu’un sapin de Noël
enguirlandé. Pour le coup, les bonnes vieilles grand-mères, les vraies, celles
qui avaient encore leur télévisions à écrans cathodiques aux coins arrondis, ne
connaissaient pas leur bonheur.
Mais revenons à notre cher numéro
de téléphone, surtaxé évidemment. Evidemment pourquoi ? Parce-que nous
sommes sur TF1, et nous sommes habitués à donner nos sous à TF1 dès que l’on
appelle pour éliminer l’un ou l’autre. Oui, mais là, il ne s’agissait pas
d’éliminer, mais au contraire de sauver, sauver la vie d’enfants, alors bien
sûr la fin justifie les moyens. Et pourtant, était-il nécessaire de surtaxer un
numéro de téléphone qui allait nous permettre de donner notre argent. Certes,
le coût de l’appel n’était pas excessif à la minute comparé à l’accoutumée, une
aubaine. Mais il est difficile de concevoir qu’une personnes normalement constituée
accepte qu’on lui prenne plus d’argent que ce qu’elle désire donner à une
association.
En comptant le nombre de
personnes, au moins de l’ordre du million, ayant appelé pour faire un don à
l’association, et comptant que ce genre d’appel dure entre trois et cinq
minutes, imaginez la juteuse plus-value que TF1 vient de se faire sans avoir
risqué quoi que ce soit, se contentant d’héberger le temps d’une soirée sa
myriade d’artistes certifiés Label Universal. Bénéfices réalisés sur notre
dos, mais surtout sur celui de l’association, des parents du jeune Grégory, et
de Grégory lui-même. Du pognon sur le dos d’un mort.
Voilà, cher Grégory, pendant un
temps, tu es devenu Dalida, toute la Star Academy a chanté pour toi tes plus
belles œuvres (celles que les chiens de garde d’Universal avaient écrites pour
toi) et Pascal Nègre, tapis dans l’ombre, a rempli son rôle d’Orlando à la
perfection. Quoi de plus naturel, pour un hommage aussi fédérateur (un mot plus
que sacré dans la logique marchandising) que d’en profiter pour faire sa pub,
et vendre aux beaufs une playlist toute trouvée pour le réveillon ? Tous étaient, pour le coup,
ressortis du placard, de Gérard Lenorman (qui a appris à remanier ses chansons
en passant au slam afin de pouvoir les parler, car vu son état il était bien
incapable de les chanter comme autrefois) à Patrick Fiori (oui, moi aussi, ça
m’a fait le coup, en le voyant, j’ai fait un bond de dix ans en arrière) en
passant par Julie Zenatti (qui ça ? oh rien, juste un produit marketing
façon Tina Arena ou Eve Angeli, début de carrière catastrophique, milieu de
carrière fortement miteux, fin de carrière pour bientôt, on l’espère) qui a
d’ailleurs flirté avec Patrick Fiori (amour sincère façon Jarre-Adjani ou
logique de marché façon Crawford-Lorie, l’un comme l’autre elle n’a pas de quoi
être fière).
Quoi qu’il en soit, tous avaient
quelque-chose à vendre, y compris les quelques anciens rameutés pour
l’occasion, quasiment le couteau sous la gorge, bien forcés de promouvoir leur
produit afin de rentrer dans leurs chiffres, sous peine de résiliation de leur
contrat chez M. Nègre qui veillait au grain (n’est-ce pas Nolwenn ?). Une
soirée tout en finesse comme seule TF1 sait encore en faire, mais à force d’en
avoir faites, refaites, et surfaites, on est tellement habitué que ça ne nous
choque même plus, c’est comme les sans-papiers qui sautent des fenêtres pour
échapper à la police. Le mot de la fin revenant à la pauvre mère de Grégory,
nous convaincant effondrée sous le poids des larmes, que TF1, Universal,
Endemol, les trois juges de sa majesté Hadès, sont des gens formidables, bref,
pas seulement des bons samaritains, mais des saints, des anges… non,
impossible, le seul ange de la soirée c’était Grégory Lemarchal.
Depuis mon poste TV j’ai presque
réussi à entendre la voix de cet ange. Il appelait à l’aide car ses ailes
étaient en train de brûler, et ça peut se comprendre. Madame, concernant vos
derniers mots à l’attention de ces trois démons télévisuels, permettez-moi de
vous rappeler une phrase issue d’un autre produit marketing distribué par
TF1 : « une bonne action ne suffit pas pour racheter toute une vie de
débauche et de perversion… mais ça suffit pour le condamner à mort ». Ici
malheureusement, le système corrompu jusqu’à la moelle a été sauvé des eaux, et
l’honneur de votre fils en a payé le prix fort. Ce soir là, Grégory Lemarchal
est mort une deuxième fois.